Malgré la création de l’OHADA (en 1993), dont
le fondement majeur était la mise en place d’un encadrement juridique adéquat pour protéger la
propriété et garantir les droits de l’investisseur, les marchés
africains sont demeurés l'apanage de quelques pays occidentaux (FRANCE, ROYAUME
UNI, BELGIQUE …etc).
Aussi, les investissements se sont
considérablement ralentis, en raison de la méfiance des investisseurs face aux
diverses contraintes économiques, juridiques, politiques ou institutionnelles rendant
la prévisibilité du risque difficile à cerner.
Aujourd’hui le regard est en train de
changer, et force est de constater que les grandes puissances mondiales
intègrent de plus en plus l’Afrique subsaharienne dans leur stratégie
d'investissement.
Cet appétit incite au renforcement de la
nécessaire maîtrise des risques, et donc l'émergence d'outils appropriés pour
moderniser l'environnement juridique, et rendre encore plus attractifs les
investissements sur le continent.
C’est dans
ce contexte que plus de quinze années après sa mise en application, l'Acte Uniforme
relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt
économique vient de faire l'objet d'une importante révision.
Le nouvel
Acte Uniforme régissant la matière a été adopté le 30 janvier 2014 par le
Conseil des Ministres de l'OHADA. Publié au Journal Officiel de l'OHADA, le 4
février 2014. Il entrera en vigueur le 5 mai 2014, soit 90 jours après sa
publication.
Ce texte est porteur de nombreuses
innovations permettant la mise en place des outils juridiques déjà connus des investisseurs
étrangers, à savoir : la société par actions simplifiée, le pacte
d'actionnaires, les actions de préférence, la dématérialisation des valeurs
mobilières, la participation aux conseils d'administration et aux assemblées
générales par visioconférence, la faculté de stipuler la variabilité du capital
….etc. Bref des atouts non négligeables qui participent à renforcer
l'attractivité de la zone OHADA pour des investisseurs.
Les sociétés
et groupements d’intérêts économiques existants auront deux (2) ans, à compter
de son entrée en vigueur, pour mettre leurs statuts en harmonie avec le nouvel
Acte uniforme.
Cette formalité
obligatoire s'impose à toutes les sociétés commerciales, y compris celles dans
lesquelles l'Etat est actionnaire. Elle s'impose également aux entreprises de
tous les secteurs, y compris celles régies par les lois et textes particuliers
(secteurs minier, énergie, banques, télécommunication et autres).
Plusieurs aspects
relatifs à la constitution des sociétés commerciales, à leur organisation et au
fonctionnement des sociétés existantes ont été impactées par cette réforme et
appellent une mise à jour globale des connaissances acquises sur la base de
l'ancien Acte Uniforme.
Au-delà de la mise en
harmonie des statuts des sociétés commerciales, le défi majeur des professionnels
du droit et des acteurs économiques est de s'approprier de cette importante
réforme.
Nous vous
livrons ci-dessous, de façon liminaire et non sans limites, les aspects
nouveaux et innovants de cet ambitieux arsenal juridique dont s’est doté l’OHADA.
ͦ L’institution
d’une nouvelle forme de société
Le nouvel AUDSCGIE
crée la Société par Actions Simplifiée (S.A.S) (articles 853-1 à 853-23), sur
le modèle de la S.A.S existant actuellement en droit français.
La société
par actions simplifiée fait donc son entrée dans le droit OHADA. L'intérêt de
cette forme sociétaire n'est plus à démontrer par la souplesse qu'elle offre
aux actionnaires pouvant notamment dissocier l'organisation du pouvoir de la
société du contrôle de son capital.
Elle présente
d'indéniables avantages à la fois pour les petits et moyens entrepreneurs
souhaitant se doter d'un statut juridique peu contraignant et pour les
entreprises qui cherchent à organiser leur coopération sans engager leur
responsabilité indéfinie et solidaire ou encore pour les groupes de sociétés,
s'agissant de leurs différentes filiales.
La S.A.S
peut être constituée sans capital social minimum et peut avoir des actionnaires
personnes morales mais également des actionnaires personnes physiques. Mieux,
la S.A.S peut n’avoir qu’un seul associé à l’instar des autres sociétés de
capitaux. Dans ce cas, on parlera de S.A.S.U.
Tout le
monde sait que l’exigence du dépôt d’un capital minimum de 1 000 000
FCFA à la banque ou chez un notaire pour une S.A.R.L pouvait être un frein à la
libre entreprise ou tout au moins à la promotion de l’entreprenariat surtout
pour les jeunes démunis de ressources stables.
La nomination d’un commissaire aux comptes
est conditionnée à l’atteinte d’un certain seuil. Le nouvel AUDSCGIE propose la réunion de
2/3 des conditions. Il s’agit d’avoir un total de bilan supérieur à 125
Millions de CFA, un Chiffre d’affaire supérieur à 250 millions de FCFA et un
effectif de plus de 50 salariés. En clair, il faut obligatoirement que deux (2)
de ces conditions soient réunies pour la désignation d’un commissaire aux
comptes.
Son mode de gouvernance est très souple et
s’adapte parfaitement aux besoins des actionnaires. Alors qu’une société
anonyme doit impérativement être dirigée par un Conseil d’Administration dès
lors qu’elle compte plus de trois actionnaires, l’AUDSCGIE révisé prévoit que,
sous réserve de règles impératives de représentation de la société par un
Président, seul organe obligatoire, investi des pouvoirs les plus étendus pour
agir au nom de la société et l’engager vis-à-vis des tiers, et de compétence de
l’assemblée des actionnaires pour certaines décisions sociales telles que
celles relatives aux comptes annuels, aux opérations afférents au capital ou à
la transformation de la société, les statuts de la S.A.S prévoient librement
l’organisation, la direction et le fonctionnement de la société, avec
notamment, la possibilité de nommer des directeurs généraux, des directeurs
généraux adjoints, ou de mettre en place un organe collégial de direction ou de
surveillance (type comité exécutif ou comité de surveillance) dont ils
définissent les pouvoirs et le fonctionnement.
Les S.A
existantes qui le souhaitent pourront être transformées en S.A.S par un vote à
l’unanimité des actionnaires.
Cette
liberté va permettre de mettre en place des modalités de gouvernance adaptées
aux différents profils des investisseurs dans le cadre d’opérations de capital
investissement, mais aussi dans le cadre de joint-ventures impliquant un
partenaire local et un partenaire étranger.
ͦ La consécration de nouveaux instruments
juridiques en matière de valeurs mobilières
- Le nouvel Acte Uniforme accomplit une
avancée majeure pour l'espace OHADA, en énonçant un cadre d'un régime juridique
clair offrant la possibilité d'émettre, des actions gratuites au profit du
personnel ou des dirigeants, des valeurs mobilières composées donnant accès différé au capital (telles que les
obligations convertibles en actions) ou donnant droit à l’attribution de titres
de créances ou encore des actions de préférence (articles 778-1 à
778-15) assorties de droits particuliers de toute nature concernant
non seulement les droits aux dividendes, mais tout autre droit tel que le droit
de vote.
- Le montant nominal des actions de la
société anonyme peut désormais être fixé librement par les statuts (article
387), et l’exigence de possession d’actions applicable aux administrateurs a
été supprimée.
- La clarification des modalités d'agrément et de
préemption en cas de cession d'actions est développée
- Les clauses interdisant la cession pour une durée de
10 ans maximum sont désormais autorisées et des possibilités de cessions forcées
ont été introduites.
La création de ces nouveaux outils répond aux
besoins de flexibilité des opérations liées au capital.
A ce titre, l’introduction d’actions de
préférence va permettre d’accorder aux actionnaires, des actions disposant de
droits politiques ou pécuniaires minorés ou renforcés selon leur profil. Ce
mécanisme sera surement usité dans des opérations de capital-investissement et
présente également des avantages dans le cadre de la conclusion d’accords
sociétaires avec des entités étatiques (dans les domaines pétroliers et miniers
notamment).
ͦ Le renforcement des règles de gouvernement
d'entreprise
Le nouvel Acte uniforme innove en opérant un
renforcement des règles de gouvernement d'entreprise. Ainsi, les pouvoirs du
conseil d'administration ont été clarifiés : les administrateurs devront
jouer un rôle plus actif et pourront être aidés, dans les sociétés anonymes les
plus importantes, par la création de comités spécialisés.
De nouvelles dispositions viennent encadrer
les questions de rémunération et de révocation des mandataires sociaux.
Par ailleurs, les mesures de traitement des abus au sein des sociétés (abus de majorité, d'égalité et de minorité) ont été clarifiées.
ͦ La
consécration des mesures de traitement des crises interne à la société
Outre ces importantes innovations, de
nombreuses améliorations attendues ont été apportées, par la définition
expresse d'un statut de l'administrateur provisoire et l'encadrement de son
intervention (articles 160-1 à 160-8).
Désormais, en cas de paralysie du
fonctionnement d’une société commerciale, ou de mésentente entre associés ou
actionnaires, il est possible de formuler une requête auprès des juridictions
commerciales en vue de la désignation d’un administrateur provisoire dont la
durée de la mission ne pourra excéder six (6) mois, sauf prorogation décidée
par le tribunal compétent.
⁰ La
possibilité de créer une société avec un capital variable
Le nouveau texte introduit également la
possibilité, s'agissant des S.A qui ne font pas appel public à l'épargne et des
S.A.S, de constituer des sociétés à capital variable (articles 269-1 à 269-7), ou de prévoir la
variabilité de leur capital social.
⁰ La reconnaissance expresse des pactes
d'actionnaires
Cet outil de cohésion de premier ordre dont
la validité est dorénavant expressément reconnue dans l’acte uniforme est un
accord conclu par tout ou partie des actionnaires (ou des associés), et qui a vocation
de rester secret, à la différence des statuts de la société, qui sont rendus
publics.
Cette confidentialité permet de prévoir un
grand nombre de clauses et de préparer diverses situations. Ainsi quelques
actionnaires, qui individuellement n'auraient pas d'influence sur les décisions
prises par la société, peuvent exercer en commun le contrôle de celle-ci par le
biais d’un simple accord extrastatutaire.
Mieux
encore, le pacte d'actionnaires est
particulièrement utile pour organiser le pouvoir entre des actionnaires
diversifiés (entité étatique, sponsors,
fonds d'investissement, etc.), mais aussi pour mettre en place des mécanismes de
conciliation, voire de règlement des différends.
⁰ L'adaptation
du fonctionnement des sociétés commerciales aux nouvelles technologies
Pour relever
les défis d'un environnement mondial ultra compétitif et s'inscrire dans l'ère
du numérique, le droit des sociétés OHADA s’adapte très clairement aux
nouvelles technologies en autorisant les associés, les actionnaires ou les
administrateurs qui ne peuvent pas être physiquement présents, de
participer aux réunions de conseils ou d’assemblées générales par
visioconférence et l’envoi des convocations par courrier électronique.
Ledit AUDSCGIE
révisé innove par ailleurs en simplifiant les règles de formalités et publicité
pour anticiper l'informatisation des greffes et l'information financière.
⁰ La clarification des
conditions et modalités des apports en industrie
Dès l’entrée en vigueur de l’AUDSCGIE, il sera possible d’effectuer des apports en industrie dans les différents types de sociétés commerciales, à l’exception des sociétés anonymes (articles 50-1 à 50-4 et 389).
⁰ L'actualisation du régime de l'appel public à l'épargne
En matière d’appel public à l’épargne
(articles 81 et suivants), la notion d’offre au public a été élargie, celle
d’investisseur qualifié a été introduite, de même que de nouvelles dispositions
relatives aux sociétés anonymes faisant
appel public à l’épargne (articles 827-1 à 827-12).
Le
renforcement ou la redéfinition de certaines obligations
On peut citer par exemple :
- La réduction de 20% à
10% de la participation requise des associés ou actionnaires de toute société
commerciale sollicitant une expertise de gestion.
- La
révision dans le détail de la procédure de conclusion des conventions
réglementées.
- L’élargissement du périmètre desdites
conventions à celles conclues avec des actionnaires détenteurs d’au moins 10%
du capital de la société concernée, même en l’absence de dirigeants communs
(article 438).
- La
possibilité offerte aux Etats parties de
déroger à l’obligation de recourir aux notaires pour rédiger, déposer au rang
des minutes, ou modifier les statuts d’une société.
- Et la clarification de la question des nullités : elles
sont désormais expressément exprimées dans chaque article concerné de l’Acte
Uniforme.
⁰
La limitation du renouvellement des
succursales de sociétés étrangères
L’ancien Acte Uniforme prévoyait que les
succursales des personnes physiques ou morales étrangères devaient être
apportées à une société locale dans les deux ans de leur création à moins
qu’elles ne soient dispensées de cette obligation par arrêté du ministre chargé
du commerce.
Les opérateurs économiques pouvaient ainsi,
sous réserve de l’autorisation du ministre compétent, obtenir une prolongation
de cette dispense parfois indéfiniment en dépit d’une importante activité
locale.
Désormais, la durée d’une telle dispense sera
limitée à deux ans (article 120) et des sanctions sont prévues en cas de
violation d’une telle obligation : radiation de la succursale et sanction
pénale à l’encontre des dirigeants sociaux de la société étrangère ou de la
personne physique étrangère.
⁰ La
reconnaissance juridique du bureau de représentation ou de liaison
Le statut de bureau de liaison ou de représentation est reconnu (articles
120-1 à 120-5). Cette entité qui n'exerce que des
activités préparatoires ou auxiliaires pour le compte de son siège fait
désormais l’objet d’une immatriculation spécifique au Registre du
Commerce et du Crédit Mobilier.
Conclusion,
Elaboré au terme d’une étude de diagnostic
approfondie, Le nouvel acte qui franchit
une étape de plus avec une modernisation importante du droit des sociétés
commerciales constitue une très importante avancée qui contribuera clairement à
l’essor des investissements dans la zone OHADA.