RADIOSCOPIE DU DROIT DE L'AMENAGEMENT FONCIER AU CAMEROUN


Les activités foncières de la société camerounaise, sont constituées d’une multitude d’actions et d’actes qui ont pour seul objet : soit l’appropriation du sol par les personnes physiques et morales, soit l’organisation et la préparation de cette appropriation, notamment par l’intervention de la puissance publique ou des professionnels, tels les promoteurs immobiliers, les géomètres ou les notaires.

Cette appropriation du sol, par les uns s’opère nécessairement (on peut le déplorer mais c’est ainsi) au détriment d’autres qui se voient exclus des biens déjà appropriés ou même évincés des biens qu’ils occupaient.

L’appropriation par les uns engendre ce que l’on pourrait dénommer dans un sens plus large que celui du droit : l’expropriation des autres.

Pour traiter d’aménagement foncier, il faut recourir abondamment au droit. Or au Cameroun, le droit de l’aménagement foncier a, en fait, plus de vertus techniques ou socio-politiques que proprement juridique.

En effet, l’héritage du passé est lourd de conséquences présentes. Parmi les plus graves, celles qui ont trait au droit et à ce que l’on pourrait appeler sa ‘’partition’’.

La plupart des juristes pensent et agissent en se référant à une sorte de modèle unitaire du droit. Ils croient, en utilisant l’instrument adéquat, pouvoir modifier la teneur et la distribution des devoirs et des droits dont toute personne physique ou morale est titulaire et qu’elle exerce à l’égard de toute autre. Il nous semble que cette conception est fausse dans le domaine qui nous intéresse ici : le droit foncier urbain camerounais.

Nous n’allons pas nous lancer dans de grandes théories mais émettre une hypothèse : les acteurs sociaux camerounais et urbain se réfèrent à plusieurs droits ou systèmes juridiques. Nous en distinguons quatre :

LE DROIT DES CODES ET LOIS

Il n’est connu que des professeurs de droit et de quelques professionnels. Son impact social et réel est très faible. Peu de gens ordinaires s’y réfèrent. Par exemple : une faible proportion de la population ose requérir elle-même, de sa propre autorité, l’immatriculation du terrain dont elle se déclare propriétaire ? Quel propriétaire de maison (même en matériau rustique) ose s’opposer à un déguerpissement administratif au motif que bien que ne disposant pas de titre, ni de permission sur le sol, il n’en demeure pas moins propriétaire de sa maison et qu’à ce titre il ne saurait obéir qu’à une injonction judiciaire ?

LE DROIT DE L’ADMINISTRATION

A l’abri de la critique populaire, l’administration se situe volontiers au dessus du DROIT DES CODES ET DES LOIS, surtout celui que le régime antérieur a laissé en héritage. Elle n’obéit qu’au droit écrit rédigé par elle (quelques décrets récents) ou au droit prétorien qu’elle invente au fur et à mesure. Par exemple, sous prétexte de défense de l’intérêt général et du développement national, elle s’arroge une sorte de droit de propriété éminent sur toute terre, quelque soit son statut, et se reconnaît le pouvoir d’en faire déguerpir tout occupant selon les méthodes les plus simples : le bulldozer.

LE DROIT FONCIER COUTUMIER

Il continue à habiter bien des esprits. De plus, il joue un rôle non négligeable car il s’applique aux espaces en voie d’urbanisation, qui sont par définition, des espaces ex-ruraux fortement marqués par la coutume. Ici, la propriété foncière n’est pas fondée sur la possession d’un titre foncier, mais plutôt sur l’époque d’occupation du sol par l’aïeul.

Quel aménageur ne s’est jamais heurté à la prétention d’un village à rester maître de son terrain et à accepter ou refuser tout nouveau venu, tout nouvel établissement, et ce quelque soit le dispositif urbanistico-foncier décrété par la puissance publique ?

LE DROIT POPULAIRE OU LA NOUVELLE COUTUME URBAINE

En ville, se développe un nouveau droit que l’on peut dire syncrétique mais dont la composante coutumière est la plus forte, à tel point que l’on est fondé à parler d’une nouvelle coutume urbaine. C’est une sorte de droit immanent que pratiquent « naturellement » les gens ordinaires, selon lequel tout terrain, même dépourvu de tout « papier », peut être vendu par simple remise physique du terrain par le vendeur à l’acheteur devant au moins trois témoins et après avoir parcouru la totalité du périmètre.

Cette situation est pénible pour le juriste. Car ces disputes sur le droit à appliquer, sa teneur, sa légitimité… se traduisent très concrètement par des conflits fonciers, des revendications tout à fait concurrentes à propos des mêmes terrains :

- Conflits entre le titulaire d’un ancien titre foncier plus ou moins oublié sur un terrain utilisé par l’administration pour les besoins d’une opération de lotissement public et les nouveaux habitants ;

- Conflits entre le village et les bénéficiaires d’un lotissement public, le village prétendant que ces gens sont des intrus, qu’il a été purement et simplement violenté et spolié par l’administration ;

- Conflits entre l’Administration qui prétend que le terrain qui fait partie du Domaine national est incessible, sans autorisation administrative préalable, et l’acheteur agissant conformément au droit populaire et qui déclare : « c’est pour moi, je l’ai acheté, j’ai un certificat de vente signé du Sous-Préfet, et j’ai des témoins, ils vous le diront ! ».

A ce jour, l’Administration continue à jouer les premiers rôles du moins dans les filières foncières légales. Mais au lieu de se plier à des procédures écrites et relativement strictes, elle préfère de plus en plus improviser n’acceptant de ne se référer aux ordres reçus ou au fameux « c’est comme ça qu’on a toujours fait »… Un mélange inextricable de bureaucratie et de navigation à vue entre les groupes de pression et d’intérêt.

En face, des pratiques populaires qui se réfèrent à une sorte de nouvelle coutume foncière, urbaine et marchande, encore assez souvent attentive à ce que le groupe pense de ce qu’il est normal ou anormal de faire ou de ne pas faire. Le groupe (sans doute un ensemble flou intégrant le quartier dans sa dominante régionale) s’exprime sur ces questions foncières par l’entremise de quelques porte-parole : ceux qui dirigent le quartier et les communautés ethniques, ceux qui président les tontines, ceux qui parlent et écrivent, ceux qui prient … … ...